Causes : la Culture

 

Ce fut, ainsi que la Culture le comprit dès le départ, une guerre de religion au sens le plus complet du terme. La Culture entra en guerre afin de sauvegarder sa propre tranquillité d’esprit ; rien de plus. Mais cette sérénité était la caractéristique la plus précieuse de la Culture, peut-être même son seul et authentique trésor.

En théorie comme en pratique, la Culture avait dépassé les concepts de richesse ou d’empire. La notion même de monnaie – considérée par elle comme une forme de rationnement rudimentaire, inefficace et exagérément complexe – n’avait pas sa place dans sa société proprement dite, puisque la capacité de ses moyens de production dépassait globalement ce que pouvait exiger tout citoyen raisonnable (voire déraisonnable) non dépourvu d’imagination. À une exception près, ces exigences étaient donc satisfaites dans le contexte de la Culture.

L’espace vital ne manquait pas, principalement concentré sur des Orbitales qui ne coûtaient pas cher en matière première ; les minerais existaient en quantité pratiquement illimitée, aussi bien entre les étoiles qu’à l’intérieur des systèmes stellaires. Et l’énergie était encore plus abondante, par le biais de la fusion ou de l’annihilation, quand elle ne provenait pas du Réseau lui-même ou encore des étoiles, soit qu’on se l’approprie indirectement par le biais du rayonnement absorbé dans l’espace, soit qu’on aille directement la chercher dans le noyau stellaire. La Culture n’avait donc nul besoin de coloniser, d’exploiter ou d’asservir.

L’unique désir que la Culture ne pût assouvir en son sein était commun à ses citoyens de souche humaine et aux machines à qui ceux-ci avaient donné le jour (aussi ténu que fût entre eux le degré de parenté) : le besoin impérieux de ne pas se sentir inutile. La Culture n’apportait qu’une seule justification à l’existence relativement sereine et hédoniste dont jouissait sa population : ses « bonnes œuvres », l’évangélisme séculaire de la Section Contact, qui ne se contentait pas de découvrir, cataloguer, étudier et analyser d’autres civilisations moins avancées mais – lorsque, à ses yeux, les circonstances s’y prêtaient – intervenait (ouvertement ou non) dans le processus historique de ces cultures étrangères.

Avec une espèce de suffisance contrite, Contact – et donc la Culture – prouvait statistiquement que cet usage bienveillant et mesuré de la « technologie de la compassion » (pour employer une expression alors en vogue) débouchait sur des résultats concrets : les techniques mises au point pour influencer le cours des civilisations amélioraient de manière significative la qualité de la vie de leurs sujets, sans pour autant nuire à ladite société dans son ensemble en lui imposant un contact avec une culture plus avancée.

Confrontée à une société d’inspiration religieuse bien décidée à étendre son influence sur toute civilisation technologiquement inférieure qui se trouverait sur son chemin, sans se préoccuper ni du nombre de vies sacrifiées au cours de la conquête, ni de l’usure résultant de l’occupation de ces mondes, la Section Contact avait deux possibilités : soit elle se dégageait et admettait sa défaite – contredisant ainsi non seulement sa propre raison d’être, mais aussi l’unique démarche justificative permettant aux sujets fortunés, mais culpabilisés, de la Culture, de profiter de la vie en gardant la conscience tranquille –, soit elle décidait de se battre. Ayant préparé et cuirassé sa propre structure, mais aussi l’opinion publique, pendant des décennies, au temps où elle se cantonnait dans l’attitude décrite plus haut, elle finit inévitablement, ainsi que l’aurait fait tout organisme qui voit son existence menacée, par se rabattre sur la seconde solution.

Nonobstant la vision profondément matérialiste et utilitariste de la Culture, le fait qu’Idir n’ait pas eu la moindre intention malveillante à l’égard d’aucune de ses provinces n’entra guère en ligne de compte. Indirectement, mais indéniablement, la Culture se sentait réellement et dangereusement menacée… non qu’elle redoutât des pertes en vies humaines, en vaisseaux, en ressources ou en territoires ; non, le risque était d’une autre sorte : ce qu’elle redoutait, c’était la perte de sa vocation, de la clarté qui caractérisait sa conscience ; l’extinction de son essence propre, la faillite de son âme.

Malgré les apparences, ce fut la Culture, et non Idir, qui fut contrainte de se battre ; et sous la pression de cette ultime nécessité, elle finit par rassembler des forces qui, à supposer qu’il y ait jamais eu le moindre doute quant à l’issue du conflit, excluaient tout compromis.

Une forme de guerre
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